Dans notre numéro du 1er février 1913, nous avons ouvert entre tous nos lecteurs et lectrices une enquête sur La Voix préférée.
Les réponses nous sont parvenues nombreuses, attestant que, de tous les instruments, le plus pur et le plus émotif est la voix humaine.
- Mme Aino - Roméo et Juliette 1913
Instrument plus délicat à travailler que le violon, le piano, mais dont la vituosité peut se jouer des difficultés techniques les plus invraisemblables.
Nous en avons eu la preuve dernièrement avec Mme Barientos dont les vocalises dépassaient, en acrobatie, les traits les plus périlleux que nos compositeurs modernes confient souvent à l?orchestre.
Instrument aux sonorités cohésives et émouvant, parce que sa richesse expressive vient directement du coeur.
Ainsi que le disait Liszt, « si vous possédez une bonne voix, n?hésitez pas un moment à la cultiver en la considérant comme un des plus beaux dons que le ciel vous ait donnés ».
NOTRE QUESTIONNAIRE.
Afin que le sujet ne prêtât pas à équivoque, nous avions demandé à nos lecteurs de s?en tenir aux registres principaux : soprano, mezzo, contralto, ténor, baryton, basse, et non aux dénominations spéciales devenues populaires, telles que : baryton martin, falcon, etc.
Voici quel était notre questionnaire :
1) Quel registre de voix (masculin ou féminin) aimez-vous entendre ?
2) Quelles sont les raisons de votre préférence ?
Le maître GUSTAVE CHARPENTIER, dont l?Opéra-Comique vient de donner, avec un succès éclatant, Julien, aime avant tout les voix naturelles.
Je n?ai pas, nous dit-il, d?opinion déterminée, en l?occurrence. De même que tous les instruments de l?orchestre se différencient par leurs qualités expressives, de même chaque registre vocal possède une beauté qui lui est propre et dont le compositeur doit tirer parti. Telle voix s?adapte parfaitement à un héros au même titre que tel instrument exprime un sentiment musical.
Mais autant je déteste les voix artificielles, autant les voix naturelles me séduisent.
La dilection de M. CAMILLE ERLANGER, dont la Sorcière triomphait récemment salle Favart, va aux soprani dramatiques.
Bien des fois j?entendis cette question : « Quel instrument préférez-vous ? » Invariablement je répondis : la voix humaine, parce que la voix humaine est l?instrument le plus expressif.
Aujourd?hui votre question est différente : « Quelle voix préférez-vous ? » me demandez-vous. Sans hésiter je vous réponds que je les préfère toutes, étant aussi heureux d?entendre un soprano dramatique chanter un air de l?Armide de Gluck, qu?une chanteuse légère vocaliser le chant de la Reine de la nuit, ou qu?un contralto soupirer les plaintes d?Orphée, éprouvant une satisfaction égale à ouïr un ténor entonner le Chant de la forge, un baryton exhaler la sérénade de Don Juan, une basse déclamer les lamentations du roi Mark.
Peut-être ai-je tout de même cité, à dessein, la voix de soprano dramatique en tête de ce sextuor vocal, parce que cette voix offre, à mon sens, dans son expression et par son timbre, le plus d?humanité...
Et cette opinion est aussi celle de M. GABRIEL PIERNÉ, l?éminent chef d?orchestre des Concerts Colonne.
La voix de soprano dramatique, par son étendue et la richesse de son timbre, est la plus parfaite et la plus cohésive. Son échelle instrumentale étant plus grande que celle des autres voix, ses ressources sont donc plus variées, plus fécondes, plus pratiques, si j?ose ainsi dire. Toutefois, une voix émeut toujours lorsqu?elle est belle en elle-même, et ce que j?ai dit précédemment n?est que logique de compositeur.
M. CHARLES SILVER, dont l?Opéra de Nice donnait cet hiver la première de Myriane, aime toutes les voix, et il apprécie surtout « l?artiste qui, doué d?un bel organe, s?en sert avec art, intelligence et style... chose malheureusement trop rare ».
Quant à notre? éminent collaborateur M. XAVIER LEROUX, il aime toutes les voix, quand elles émeuvent par la beauté de leur timbre.
L?intensité expressive d?une phrase musicale, continue-t-il, pour être complète doit compter sur deux facteurs 1) Le talent de l?artiste ; 2 la qualité de sa voix.
Rien ne m?est insupportable comme ces organes que, par un euphémisme habile, on nomme voix blessées. Ah ! vite les Invalides pour ces incurables éclopées.
On les dit aussi « voix douloureuses » ! Douloureuses à entendre, oh ! combien. Elles fendent à la fois le coeur et les oreilles.
On ne joue ni du violon ni du violoncelle sur un instrument... décollé. On ne tire rien d?une clarinette fêlée. Pour chanter, il faut d?abord une belle voix...
L?ENQUÊTE AUPRÈS DE NOS LECTEURS :
M. PAUL DUPAILIER cite, à l?appui de sa réponse, les exemples pratiques que lui révèlent les ouvrages des grands compositeurs
La voix humaine, écrit-il, est un instrument d?une telle beauté qu?il est bien difficile de dire quel est celui de ses registres que l?on préfère : ils sont tous admirables. Cependant j?ai toujours préféré les voix féminines aux voix masculines ; un chanteur, quelque talent qu?il ait, m?a toujours paru un peu ridicule, les ténors surtout ; maintenant, il se peut que cela tienne aux rôles qui leur sont réservés.
Parmi les voix de femmes, je préfère les voix élevées, non point qu?un beau contralto me laisse indifférent, mais rien se peut-il comparer à l?éclat d?un soprano dramatique un peu étendu. N?est-ce point d?ailleurs la voix que tous les grands maîtres de la musique ont, donnée a leurs héroïnes, qu?elles soient Alceste ou Marguerite, Iseult ou Valentine ?
Je partage leur préférence.
M. J. ALVAREZ aime d?instinct le contralto et nous fait part de sa préférence en termes éloquents.
Le registre vocal que je préfère, c?est le contralto. Je l?aime d?instinct. Cette voix m?émeut, me fait frissonner, exerce sur moi, sur ma sensibilité un effet incompréhensible. C?est une voix douloureuse et impressionnante. Elle s?élève, s?étend, vous pénètre. Le son est grave, chaud, étrange : un accompagnement d?orgue et un chant triste de violoncelle. Ce timbre donne aux paroles gaies je ne sais quelle mélancolie, quel velouté, les passages tristes deviennent avec lui poignants, il vibre et fait vibrer. C?est une caresse passionnée qui, par l?oreille, va du coeur jusqu?à l?âme.
M. GRAVAGNE explique nettement les raisons de sa préférence pour les ténor, et soprani
Si tous les registres de voix sont également beaux lorsque les chanteurs sont doués d?un bel organe et s?en servent avec art, je crois cependant que les voix de soprano et ténor sont les plus harmonieuses et les plus prenantes. Elles me paraissent s?associer le mieux avec un orchestre. Elles sont douées d?une souplesse qui leur permet de nuancer le chant mieux que les autres registres de voix ne le peuvent et rivalisent avec les sonorités chaudes et veloutées du violoncelle.
Et M. RENÉ CAMPAGNE aime plus particulièrement les voix de mezzo-soprano et de baryton, parce que ce sont des voix naturelles.
Un bon mezzo-soprano, ajoute-t-il, est capable de nous donner des notes de contralto qui seules ont la puissance de troubler notre âme et de prendre le public lorsqu?elles sont servies par une voix généreuse et dramatique. Quand il s?agira de traduire l?exaltation, les cris d?angoisse on- de joie, le mezzo nous donnera des notes moins perçantes qu?un soprano, c?est entendu, mais elles n?en seront que plus émouvantes.
Ce que je dis pour le mezzo-soprano, je le pense aussi pour le baryton. Je déplore qu?on s?attache à donner les principaux rôles aux ténors, il y aurait un grand charme, me semble-t-il, à entendre une voix chaude, pleine et vibrante, dans des rôles toujours très sympathiques.
Peut-être recherche-t-on les ténors parce qu?ils sont si rares ?... et qu?il est rare surtout de rencontrer un ténor plein de charme et de jeunesse comme le réclame sa voix l... Cependant, au théâtre, n?est-il pas utile que tout soit en harmonie ?.
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