Etant un chanteur lyrique amateur, donc par extension un musicien amateur, j’ai déjà eu l’occasion de parler ici de la place du chanteur amateur dans le tissu musical et des problèmes qu’il pouvait rencontrer aussi bien au niveau des possibilités de se produire en concert en fonction de son niveau de formation qu’au niveau de ses relations avec des professionnels ou avec les autres amateurs.
J’ai été extrêmement sensible à une lettre de Guy Dangain, publiée dans le journal La Lettre du Musicien (n°349, première quinzaine de novembre 2007). Et qui pousse ce cri : "Laissez les vivre".
Je vous retranscris ci-dessous la lettre de Guy Dangain avec l’aimable autorisation de son auteur et de la rédaction du journal " La Lettre du Musicien.
Laissez-les vivre !
Un courrier du clarinettiste Guy Dangain, ancien soliste à l’Orchestre national de France, à la gloire des musiciens amateurs.
Le monde musical est une grande famille, ou plus exactement une grande chaîne humaine qui va du simple mélomane aux plus grands interprètes. Le monde amateur constitue un maillon essentiel de la transmission musicale et de tout un art de vivre qui s’y rattache.
Harmonies… Le monde musical amateur est comme une prairie où poussent de multiples fleurs. On y trouve de la graine de professionnel. Cette essence-là, qui n’est certes pas la plus nombreuse, a fourni et fournit encore aux grands orchestres français kyrielle d’instrumentistes à vent. Mais la graine la plus répandue dans notre prairie musicale est celle de l’amateur heureux de l’être. Le rôle de ces enfants, de ces femmes et de ces hommes est primordial dans notre société anxiogène où la solitude et l’isolement s’invitent trop souvent. Contrairement au professionnel, l’amateur n’est pas obsédé par sa technique instrumentale ni obnubilé par la performance. Il n’est pas non plus rémunéré. Il joue pour son plaisir, pendant ses moments de loisir. Il incarne la spontanéité, le naturel, la générosité. Issu du monde amateur et ayant eu la chance de faire de la musique mon métier, je sais ce que je dois à ce milieu. Ayant passé trente ans de ma vie dans un orchestre professionnel, je connais les joies, mais aussi les contraintes, les épreuves, les souffrances parfois, qu’un professionnel endure pour arriver à l’excellence et s’y maintenir. Et je comprends fort bien que beaucoup de musiciens amateurs puissent éprouver de grands bonheurs à jouer dans un orchestre ou à chanter dans une chorale, sans être en quête d’une perfection absolue.
Le bonheur d’être ensemble. Mais il y a plus. L’amateur, parfois sans le savoir, contribue à tisser du lien social, celui-là même qui nous fait tant défaut de nos jours. Cette évidence m’a frappé durant mes dernières pérégrinations estivales. Cette année, le hasard ne m’a pas conduit dans les salles des grands festivals, mais dans des contrées moins touristiques, habitées par des traditions locales vivaces. Dans les arènes de Mont-de-Marsan – lieu magique –, j’ai eu l’occasion d’entendre des bandas rythmer des courses de vaches landaises durant trois heures. Deux orchestres ont dû se relayer pour conférer au spectacle toutes ses couleurs et toute sa flamboyance : sans les sonneries de trompette, déclenchant inévitablement les « olé » du public, cette ambiance si particulière ne s’installerait pas. Ces deux orchestres de bandas rassemblent une centaine de musiciens amateurs de tous âges. C’est de cette tradition-là que sont issus Maurice André, son professeur au Conservatoire de Paris, Raymond Sabarich, et tant d’autres.
Changement de cap, changement de décor. Dans un petit village montagnard du Haut-Bugey, tout près du Jura, j’ai eu le plaisir d’écouter une chorale de 50 personnes : épicier, instituteur, restaurateur, maire du village… Dans ce village de 300 habitants où le café du coin est peut-être l’un des derniers lieux de rencontre, des choristes se retrouvent dans la salle de la mairie, non point pour entonner les louanges du premier magistrat, mais tout simplement pour le plaisir, le plaisir de chanter ensemble, de mêler leurs voix. Le monde amateur, c’est cela. Tout cela. Laissons-le vivre. Encourageons-le, en toute amitié, à aller plus loin, plus haut sur le chemin de la qualité. Remercions-le. Animant nos villes, villages et quartiers, il fait le bonheur de centaines de milliers de fidèles auditeurs.
Guy Dangain