Tout le monde connaît la légende de FAUST ; point n’est besoin d’en parler ici. Tout le monde sait que GOETHE est un génie. Tout le monde sait que BERLIOZ est un génie. Aujourd’hui, j’affirme que Robert LEPAGE est un génie !
Sa mise en scène est absolument confondante, intrigante, poétique, débordante, intense, éclatée, osée, irrationnelle, évanescente, transcendante. Mais n’est-ce point comme cela qu’un esprit commun peut qualifier cette œuvre unique du tourmenté BERLIOZ, qui ne souffre d’aucune comparaison.
Comme tout bon génie, il a dû également frotter les petites lampes magiques de Carl FILLON aux décors, de Johanne MADORE pour la chorégraphie dansée, d’Alain GAUTHIER pour la chorégraphie acrobatique qui fut, pour tous, un intense moment d’abandon extatique.
Car tout le spectacle était là ! dans la mise en scène et dans la prestation d’une foule d’artistes, dont les noms sont inconnus, mais qui ont reçu de ce public exigeant, une ovation débordant celle réservée aux têtes d’affiche, tant ils étaient convaincants dans ces tableaux extrêmement physiques.
Tout d’abord, Patrick DAVIN, en Chef inspiré, a su tirer de l’excellent orchestre de l’Opéra, les sonorités exigées par le Maître, parfois évanouies et abandonnées, puis jaillissant soudain en torrents impétueux chargés d’éclairs. Malgré l’acoustique controversée de cette salle, je crois volontiers que les spectateurs des premiers rangs ont dû se recoiffer après l’attaque des trombones ! Ensuite, l’excellent José VAN DAM en Méphisto, nous a confirmé son grand talent par sa voix profonde, pénétrante, invitant à sonder les terreurs nocturnes, adaptée à merveille à ce rôle, et par sa présence scénique d’une lenteur impériale. Puis, Giuseppe SABBATINI, ténor fort justement primé, s’est habilement saisi de ce rôle de Faust, difficile pour un Italien, plus à l’aise dans les lignes mélodiques, qu’obstinément récitatives comme ici. Enfin, Michelle DE YOUNG, mezzo-soprano, au timbre chaud et cuivré, puissante jusque dans les basses de cette tessiture, fut une gracieuse et touchante Marguerite, et obtint du public une ovation dont l’éclat ne trompe pas une oreille habituée.
Imaginez les pièces d’un immeuble dont la façade aurait été enlevée. Dans ces cases, des personnages sur 4 niveaux apparaissant en réel ou en ombres chinoises, avec des écrans et rideaux amovibles, parfois translucides, parfois opaques, permettant à un complexe jeu de projection vidéo, d’imager en placages ou reliefs de façon surprenante et poétique, l’évolution des différentes scènes. Un kaléidoscope infernal !
Des diablotins rouges et noirs, se mouvant verticalement tel Spiderman dans tous sens et dans toutes positions, assurés par un jeu de filins invisibles. Imaginez au dernier étage, les interprètes jetés dans le lac et qu’on voit se noyant, se débattant, tomber jusqu’au fond par l’accompagnement vidéo qui poursuit le geste. Imaginez des Christs en chair et en os surgissant dont ne sait où, s’agrippant à on ne sait quoi pour se figer crucifiés à tous les niveaux. Imaginez le feuillage d’une forêt d’automne dont la lente chute des feuilles jusqu’au sol, en vidéo, rappelle le lent égrènement des jours. Imaginez une haute porte-palissade en rondins de bois que quelques flammèches timides, la faiblesse de l’homme et la volonté du diable, finissent par consumer totalement dans le crescendo d’un épouvantable brasier. Imaginez...l’enfer. C’était là !