Qu’est ce que j’attends en me rendant à l’opéra ?
Cette question ne pouvait manquer de survenir sur un tel site : elle y fait l’objet d’au moins deux débats,longs, mais de belle volée.
Débats sur plus d’un niveau. Musique et chant d’abord, l’intrigue théâtrale servant de faire valoir. Ou bien : théâtre ou musique, qu’importe , c’est une question d’attente de la part de l’auditeur/spectateur (ou du spectateur/auditeur).
- Batistini
Et encore : refus des diktats inadmissibles des metteurs en scène parfois mal inspirés, ou au contraire liberté sacrée, voire enrichissante, accordée à l’avance et par principeà la mise en scène. Ce débat est applicable aux décors.
On a même abordé la question du look, celui du chanteur sur la scène.
On imagine l’ampleur du sujet : à donner le vertige. A déchainer passions et batailles. La musique adoucit-elle réellement les moeurs ? Rassurons-nous, elles sont restées jusqu’à maintenant paisibles sur www.Vocalises.net.
Tentons une approche pour une réflexion commune, qui devrait - pour être efficace et constructive - s’appuyer sur les mêmes prémices , au moins en partie.
Commençons par l’absurde : pour cerner les attentes de l’amateur d’opéra. Imagine-t-on un quidam allant au cinéma pour assister essntiellement à un concert musical, lequel sera animé par une histoire en images ? Ou qui va au théâtre pour voir avant tout un décor,animé lui, par le jeu d’animateurs agissant et s’exprimant dans le cadre d’une intrigue créée à cet effet ?
Imaginons le livret du Trouvère proposé sans chant ni musique ? Quel théâtre accepterait de mettre à l’affiche un tel navet ?
Mais attention de na pas conclure trop vite.
Dans un ciné club branché , votre serviteur et ses condisciples eurent droit à une projection du "Cuirassé Potemkine" consacrée exclusivement à l’image, sacralisée. Ce film datant du muet et donc déjà sans paroles,s’était vu privé de toute musique d’accompagnement : l’image devait se suffire. Seul l’organisateur est resté jusqu’à la fin : l’impresion d’étouffement procurée par ce défilé de scènes agitées dans le plus profond silence... A l’inverse le théâtre et le cinéma-théâtre de ce champion du verbe qu’était Sacha Guitry auraient presque pu se déguster par le livre ou la radio : les textes étaient le projet essentiel de l’auteur et de ceux qui les abordaient en connaissance de l’auteur. Pourtant quelques expressions prises en gros plan, un ton subtilement sarcastique, une musique joyeusement sucrée-acide : et on avait un film, à tout prendre justifié.
En revanche les seuls textes de Nabucco ... Oui mais la musique de Nabucco, les solos, les duos, les choeurs de Nabucco : et un opéra est là, merveilleux, qui n’existerait pas sans un texte...qu’il vaut mieux entendre en italien quand on ne comprend pas la langue : on ne peut pas tout avoir ... Et puis,si on enlève la musique, il n’y a plus d’opéra, plus de débat, et sans doute plus de www.Vocalises.net.
Pourquoi la musique de film, sinon pour booster la transmission des émotions, des sentiments ? La recherche du décor et des effets spéciaux n’a-t-elle le même objet ?. Et n’oublions pas qu’on a commencé à oeuvrer dans le sens de cette transmission... dès le choix des acteurs.
Idem pour le théâtre, musique en moins, encore que dans le Bourgeois gentilhomme...
Pour l’opéra, le casting s’opère sur plusieurs plans : le rôle,la voix du rôle, le jeu . Aucun pro, aucun amateur mélomane ne négligera l’importance de la voix du rôle, en sus de celle de la voix tout court. Le jeu lui, a évolué dans le bon sens ces cinquante dernières années, en banissant la pose figée, luette offerte généreusement au public des premiers rangs. Etonnant alors que certains tiennent pour accesoire le physique du rôle. On peut comprendre que l’amour du chant et des belles voix fassent accepter l’inadéquation d’un physique à un rôle, mais jusquà quel point ? Dans la Dame de Pique, Lisa était joufflue, mafflue, ventrue, fessue, cuissue : dur de ressentir l’amour sensé lui être voué par le bel officier Hermann. A la télé un jour, Othello (Mario Del Monaco) s’est tranché la gorge - en faiant un triple mouvement de va et vient avec son poignard - avant de beugler son agonie deux bonnes minutes, sans le moindre gargouillis : les non mélomanes à qui j’avais infligé la retransmission se tordaient. Au Palais Garnier il y a deux ans, Jules César et ses légionnaires s’habillaient Louis XV. La veuve de Pompée faisait mémère, une grosse mémère sans classe, dont Ptolémée était soit-disant fou de désir.Le désir ne faisait pas bander l’assistance, plutôt mal à l’aise. Et des bateaux en papier, façon classes enfantines, représentaient l’arrivée de la flotte romaine : histoire de détemporaliser l’oeuvre. En fait c’est l’héroïsme de la scène qui a sombré. Mise en scène,look des protagonistes étaient loin de booster la transmission de l’émotion musicale : en fait c’était exactement l’inverse qui se produisait. L’assistance, qui comptait entre autres les curieux et les amateurs affirmés du "Chéreau", n’ont pas applaudi au tomber de rideau.
Images désolantes, images incrédibles, images massacreuses. "Fermez les yeux" nous répond-on parfois. Eh bien non, figurez-vous : nous n’allons pas au théâtre, même lyrique, pour celà.
La détemporalisation, c’est une manière intelligente d’interpréter l’ancien : on a pu apprécier que les traducteurs d’auteurs anciens s’efforcent de tenir compte de l’évolution du language,et de l’environnement,pour exprimer d’avantage les sentiments de l’auteur et de ses protagonistes. Ceci plutôt que de s’attacher à une traduction littérale guère compréhensible, d’autant que bien des termes, voir des formes d’appréhension du réel, ont disparu.
On peut admettre le même principe pour la représentation du théâtre lyrique. Mais si le metteur en scène est mauvais traducteur... l’oeuvre en fait les frais. Seuls ce metteur en scène et le directeur de théâtre ont réussi alors le coup : soigner leur réputation d’originaux voire d’avant gardistes. Mais c’est peut être le risque à courir pour éviter l’empoussièrement ?
Ce qui compte : cerner ce qui colle et ce qui ne colle pas. Rappellons nous :la musique, le chant en particulier, vecteurs de la transmission de l’émotion. Le théâtre, lyrique en particulier, ses chanteurs/acteurs, leur jeu, la mise en scène, les décors, ont le même objet. Tous ces éléments doivent concourir au but, en synergie. Tous comptent : pour mieux transmettre, mieux émouvoir. Pas pour se concurrencer au risque de l’échec et du gachis.
Ce qui implique culture, compétence...et modestie.
Jean-Pierre