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Le 22 mai 2004









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L?évolution de l?Opérette
Hommage à Charles Lecocq




L ?Opérette à l?inverse des peuples heureux, a déjà une histoire.

Ce genre, qui pourtant est né d?hier, a déjà trouvé le moyen d?évoluer de se transformer profondément, de se développer dès sa plus tendre jeunesse, nous donnant par là une haute idée de sa vitalité et de sa future énergie dans la lutte qu?il soutiendra certainement dans notre histoire pour la conquête du théâtre. Charles Lecocq (JPEG)

Il y a là une forme caractéristique de l?esprit de notre pays, qui trouvera toujours son mode d?expression et saura s?adapter à toutes les époques et à tous les états de notre développement artistique. Sa jeunesse nous répond de son adolescence.

L?opérette n?est pas de haut lignage. Le jour de sa naissance, on s?aperçut qu?elle n?avait pas les attaches fines ni le sang bleu. Ce fut bientôt une robuste enfant, un peu épaisse, un peu lourde, mais saine et bien portante, avec d?éclatantes couleurs et une gaieté communicative.

Elle ne savait pas sourire, mais poussait à chaque instant de bruyants éclats de rire qui lui fendaient la bouche jusqu?aux oreilles. On l?aimait pour sa franchise et sa simplicité. Son enfance s?écoula au théâtre Déjazet qui s?appelait alors le théâtre des FoliesNouvelles. Son tuteur s?appelait Hervé.

Elle était vraiment, à cette époque, dénuée de toute prétention et de toute ambition. Elle représentait la réaction instinctive, la revanche, la vengeance du gros bon sens populaire en face d?oeuvres d?art trop systématiquement maintenues par leurs auteurs dans les régions éthérées.

La foule souffre souvent du vertige des cimes. Le sublime à jet continu la fatigue et l?irrite assez vite : comme le géant Antée, elle a besoin de temps en temps de toucher le sol pour se ressaisir.

L?opérette, réduction ironique et dérisoire de l?opéra, contentait ce besoin prosaïque du public.

C?est à ce moment que l?on voit apparaître ces assez grossiers petits actes parodiques à deux ou trois personnages où la bouffonnerie atteint à une vulgarité un peu excessive. C?est également la conception qui préside aux premiers essais d? Offenbach.

Mais, peu à peu, on voit s?élargir l?idéal des amuseurs lyriques. On écrit des partitions plus longues, plus soignées, on augmente le nombre des actes et des personnages, on s?occupe de la mise en scène, on écrit des choeurs.

Après les timides réalisations de Laurent de Rillé, de Darcier ou de Montaubry, après la Chanson de Fortunio et le Mariage aux lanternes, on voit triompher Orphée aux Enfers, la Belle Hélène, la Vie Parisienne, la Grande-Duchesse, Chilpéric et le Petit Faust.

La grande opérette à spectacle est créée et des scènes importantes se consacrent à son culte.

Il semble qu?à ce moment le terme de l?évolution du genre soit atteint et que la forme ainsi obtenue demeure définitive.

Il n?en est rien pourtant, puisque Lecocq n?a pas encore chanté. Le voici, dans toute la crânerie gauloise de son nom symbolique, qui fait retentir tous les théâtres parisiens de son cri victorieux et qui prend possession des boulevards.

Des Bouffes-Parisiens à l?Athénée, des Polies-Dramatiques aux Variétés, il triomphe partout. Toute la seconde moitié du XIXe siècle est remplie de ses succès. De 1856 à 1900, se multiplie inlassablement son esprit. Et l?univers entier applaudit, surpris et charmé, les gracieuses filles d?une exquise inspiration apportant au théâtre un monde de sensations nouvelles.

Charles Lecocq était, en effet, un musicien de race très apte à jouer ce rôle de réformateur et de rénovateur. Il possédait une technique solide, consacrée par des succès scolaires au Conservatoire.

Dès ses débuts, il balança la fortune de Georges Bizet, en traitant comme lui le sujet du Docteur Miracle et en s?égalant à lui dans le concours qui les mit aux prises.

Et il ne faut pas oublier que c?est l?auteur du Petit Duc qui écrivit avec une religieuse vénération la réduction piano et chant du Castor et Pollux de notre Rameau. Il avait donc toutes les qualités nécessaires pour marquer d?une très personnelle empreinte le genre qu?il abordait.

Son génie fut de deviner la force et l?attrait du sourire musical. Nul ne s?en était encore avisé. La parodie des personnages ou des situations, la bouffonnerie des rythmes avaient suffi, jusqu?ici, à créer le plaisir des spectateurs.

Charles Lecocq voulut tirer de la musique même des divertissements infiniment nuancés. Très maître de son métier, il écrivit dans une forme rigoureusement classique, mais dans un esprit aimablement ironique, des rondeaux, des ballades, des romances, des duos ou des choeurs d?une musicalité parfaite. Et l?agrément naquit du spectacle de tant d?adresse, de grâce et d?aisance mises au service d?une idée joyeuse et de tant d?élégante musique refusant de se prendre au sérieux dans les moments même où sa science commanderait le respect.

Cette sensation du tour de force accompli sans effort est évidemment savoureuse entre toutes, et Lecocq la dispensa toujours avec une héroïque libéralité. Doué d?une verve mélodique inépuisable, ce fin musicien écrit ses partitions dans un style remarquablement soutenu, sans tomber jamais dans la prétention.

Il a introduit dans l?opérette des harmonies adroitement recherchées, mais si merveilleusement en place que les plus rétrogrades auditeurs ne purent jamais s?en offusquer.

Il a fait plus. On peut affirmer sans paradoxe qu?il a été le premier à faire bénéficier de l?héritage de Wagner un genre auquel l?auguste testateur n?avait certainement pas songé. N?en déplaise aux anti-wagnériens qui se flattent d?échapper à l?emprise bayrenthienne en limitant à l?opérette leurs dévotions musicales, l?essentiel de la grande révolution lyrique a passé dans la trame légère de plusieurs de ces menus chefs-d?oeuvre.

On le perçoit dans la minutie du commentaire, dans l?expressivité des accompagnements, dans la souplesse des récitatifs. Comme dans Wagner, mais sans le moindre pédantisme ni la moindre lourdeur, l?orchestre est le témoin attentif des propos échangés sur la scène et témoigne d?un constant intérêt à l?action et aux répliques.

Il souligne, il remarque, il sourit des mots prononcés. Il réfléchit les images, précise les allusions, accentue les descriptions.

Les formules d?accompagnement ne sont plus stéréotypées, elles se modifient vingt fois au cours d?une scène pour suivre rapidement et commenter les situations. Un mot suffit à éveiller un écho dans l?orchestre de Lecocq, mais avec quel tact et quelle discrétion !

Et l?opérette sortit absolument méconnaissable des mains de ce professeur de maintien. Elle était devenue d?une coquetterie charmante et d?une distinction étonnante.

L?influence de Charles Lecocq, sur l?évolution contemporaine de l?opérette n?est du reste contestée par personne. Tous les musiciens savent ce qu?il a fait d?un divertissement assez grossier qui, grâce à lui, a pris un agrément insoupçonné, s?est affiné, a fait accueil à l?esprit, à l?ironie, à la tendresse légère et à l?émotion.

Les plus austères techniciens et les maîtres les plus hautains lisent ses ouvrages avec sympathie. Son initiative a permis en outre à d?excellents musiciens de s?engager dans la voie fleurie qu?il venait de tracer.

Sans Lecocq nous n?aurions peut-être connu ni Audran, ni Varney, ni Planquette, ni Serpette, ni Vasseur, ni Ganne, ni André Messager.

Son rôle aura été aussi fécond que glorieux. Il est doux de pouvoir en remercier un artiste bien vivant, alors que tant d?apothéoses tardives apportent sur des tombes closes l?amertume de l?irréparable ! Entrer vivant dans

l?immortalité est une faveur dont les dieux sont avares. Heureux ceux qui, comme Charles Lecocq, auront pu sentir sur leur front la glorieuse caresse des couronnes de laurier qu?on ne tresse d?ordinaire qu?en l?honneur des statues !

GABRIEL DARCY 1912.

par : Jean-Marc





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