Ce qui me gêne parfois dans la musique religieuse de Gounod, c’est sa proverbiale faiblesse rythmique, qui avec le domaine plus "rangé" de la musique religieuse, avec le texte bien connu et très cadencé, semble parfois s’étaler.
Problème similaire pour la mélodie.
Merci pour cet article, se confronter ainsi aux avis d’un siècle entier antérieur, c’est un régal !
J’apprécie beaucoup la musique religieuse de Gounod. Personnellement il y a quelque chose d’inéffable qui, comme on dit : "vous prend les tripes.." Par exemple dans "Ô Divin Rédempteur", bien que les paroles soient un peu désuètes de nos jours, il y a quelque chose qui "touche profondément" et les trois dernières mesures sont tout simplement "Divines".
Ceux qui n’ont admiré Gounod que dans ses opéras célèbres, ne le connaissent que très insuffisamment.
Autant, pour le moins, qu’un grand compositeur dramatique, il fut un grand maître de la musique d’église. Les aspirations mystiques de son caractère le prédisposaient à exceller dans cet art élevé.
On a souvent dit que c’est cette face de son oeuvre qui le fera le plus éternellement glorieux devant l’avenir, et cela ne laisse point d’être vraisemblable. L’éminent critique du Figaro, M. Robert Brussel apprécie, dans l’article suivant : Gounod musicien d’église.
Lorsque Gounod mourut, Mr Camille Saint-Saëns exprima en une page de haute critique son opinion sur l’oeuvre de l’auteur de Faust. « Quand, de par la marche fatale du temps, dans un lointain avenir, les opéras de Gounod seront entrés pour toujours dans le sanctuaire poudreux des bibliothèques, connus des seuls érudits, la Messe de Sainte Cécile, Rédemption, Mors et Vita resteront sur la brèche, pour apprendre aux générations futures quel grand musicien illustrait la France au XIXI siècle ».
C’est, en effet, dans ces derniers qu’il dépensa sinon le meilleur, du moins le plus pur de lui-même.
Sa musique sacrée n’a point le caractère sec et discourtois des oeuvres qu’une scolastique, rigide et sans génie, a seule engendrée. Elle est avant tout musicale, et non point à la mode des compositeurs qui le precederent immédiatement : c’est a-dire plus sentimentale qu’expressive, plus larmoyante que réellement émue, plus mondaine que religieuse.
La révolution qui se produisit grâce à lui dans la musique d’église porta, par la suite, des fruits excellents. Le génie seul pouvait apporter à cet art, vraiment trop rabaisse, un élément nouveau.
A défaut du génie tout personnel qui devait dans la suite illustrer le nom de César Franck, Gounod infusa au moins à la musique d’église une vie nouvelle. Il avait déjà compose une Messe a grand orchestre exécutée a Saint-Eustache, celle-la même qui enthousiasmait le bon M. Poirson, son ancien proviseur au lycée Saint-Louis ; il avait déjà fait exécuter un Requiem a Vienne lorsqu’il connut Mendelssohn, grâce a sa sœur Mme Hensel.
Peut-être est-ce a l’influence de ce compositeur, lequel remit Bach en honneur, qu’il faut attribuer l’orientation, de la musique d’église de Gounod. A coup sur, il n’y fut point indifférent : Mais ce qui est plus certain encore, c’est que c’est a Rome qu’il reçut l’impression qui devait décider du caractère de son oeuvre.
C’est à la chapelle Sixtine, où il fréquentait en compagnie du peintre-Hebert, qu’il entendit pour la première fois les ouvrages liturgiques de Palestrina.
L’écriture et la sonorité de ces monuments impérissables le frappèrent au plus haut point ; et il ne s’est, certes, jamais dégagé de cette impression, pas plus qu’il ne rompit le charme qui le liait au divin Mozart.
L’oeuvre de Gounod n’est point d’un organiste ; elle est avant tout d’un musicien.
Le court séjour qu’il fit aux Missions n’est qu’un incident sans portée dans sa vie. Il n’avait cédé qu’a grande peine aux sollicitations de 1’abbe Dumarsais : et encore n’avait-il accepte le poste d’organiste qu’a 1’expresse-condition d’y être son propre maître et d’être en quelque sorte le curé de la musique, qu’il se nommait être lui-même.
Bien plus caractéristique est la crise de mysticisme qu’il subit sous l’influence du Père Lacordaire. I1 suivit meme les tours de Saint-Sulpice (it existe un portrait de lui ou, sur sa tete, se voit nettement la place d’une tonsure ; ce portrait est reproduit, a la page 110 du present numero : c’est le premier, à droite.)
Dans l’histoire de son euvre, cette fiêvre, cette exaltation spirituelle qui se reproduisit plus tard en faveur des théories metaphysiques de Wronsky, est la source des plus précieuses indications. Plus tard encore, tandis qu’il ecrivait sa Messe de Sainte-Cecile, il lisait Saint-Augustin, et it faisait préceder sa partition de Mors et Vita, dediée au pape Leon XIII, d’une preface dont la philosophie est purement chrétienne. Chose plus curieuse encore, le seul reproche qu’ait adressé ce fidèle admirateur de Mozart a l’auteur de Don Juan, est celui de mondanité excessive dans le Requiem.
Le cas semblera d’autant plus piquant que, malgrè les admirables modeles que Gounod s’etait proposés, ce n’est point par une austerité excessive que pêchent ses ceuvres sacrées. L’âme de Juliette y flotte quelque peu.
Gounod n’a pas fait la divinité a l’image de la terreur : il I’imagine douce, tendre, et, par la, plus touchante et plus humaine. Mais ce que l’on ne saurait trop admirer, c’est l’effort qu’il a réalise contre le mauvais goût qui envahissait la musique d’église.
Son oeuvre religieux est considérable : un Requiem (sans parler de celui auquel il mettait la dernière main quand il est mort). Une Messe à trois voix et orchestre (1841 et 1842), une Messe solennelle (1871), Messe de Sainte-Cecile (1882), Messe de Jeanne d’Arc (1887), une quatrième Messe solennelle (1888), deux Te Deum, Les Sept Paroles du Christ, Pater Nosfer, Ave Verum, Jesus sur le lac de Tiboriade, Stabat, Rédemption, Mors et Vita, Tobie, etc., etc.
Il est probable que l’avenir ratifiera l’opinion de Camille Saint-Saëns.
C’est dans ces oeuvres religieuses que se décèlera le plus fortement, pour les postérités, la grâce, la ferveur, la tendresse d’un des plus remarquables parmi les compositeurs qui ont illustre l’art musical.
Aussi bien, si la réputation éternelle de Gounod devait être surtout celle d’un grand musicien d’église, n’aurait-il pas a se plaindre en sa postérité.
Ceux-la sont rares qui dans le ciel musical peuvent faire quelque lueur sacrée auprès de Bach, de Palestrina, de Beethoven. Depuis le commencement du XIX, siècle, il semblait que le genre religieux s’effacat ; ce sera pour Gounod un honneur impérissable que de lui avoir rendu et la grâce et la vitalité.
Article original de la revue Musica en juillet 1906 par robert Brussel.